“C’est quoi ce petit jeune qui part à 17h30 alors qu’il y a encore plein de boulot?” (Roger – 50 ans). “Pourquoi il me dit que si je veux réussir dans la vie, il faut que je sois le meilleur et qu’il ne faut faire confiance à personne?” Emilie – 27 ans, en parlant de son patron (Eric – 40 ans). “Pourquoi je devrais obéir à un ordre qui n’a pas de sens pour moi?” (Etienne – 25 ans).
On peut analyser ces réactions à travers le prisme de l’appartenance à une génération. L’âge peut-il expliquer les différences de point de vue ? Personnellement, j’ai croisé de nombreux quinquagénaires qui quittaient leur travail à 17h30 tous les jours depuis l’âge de 20 ans, comme je connais des jeunes qui ne vivent que pour leur travail.
D’ailleurs, j’ai toujours eu du mal à obéir à un ordre qui n’avait pas de sens pour moi (j’appartiens à la génération X). S’il est vrai que l’on peut identifier des comportements communs à des générations, cela n’est peut-être pas lié exclusivement à l’âge mais à un autre critère : le système de valeurs dans lequel chaque personne évolue.
Il existe un modèle intitulé « spirale dynamique » qui décrit l’évolution des comportements et qui explique pourquoi et comment les hommes et les sociétés changent. Le connaître permet de comprendre pour quelles raisons la société change et comment les hommes s’adaptent à ces évolutions et développent par conséquent de nouvelles valeurs, croyances et comportements.
Conçu par le Docteur Claire X Graves pendant plus de 25 ans, il décrit le processus d’évolution de l’Humanité. Les principes généraux sont les suivants :
- L’évolution de l’Humanité peut-être décomposé en plusieurs « niveaux d’existence ». Chaque niveau d’existence repose sur une valeur profonde adoptée par l’Homme pour s’adapter aux conditions de vie qu’il rencontre.
- La transition d’un niveau d’existence à un autre se fait généralement lorsque la solution devient le problème, lorsque ce qui était du confort devient de l’inconfort (le problème, c’est l’excès de la solution précédente !).
- L’évolution des niveaux d’existence se produit par un effet de balancier qui se fait sur deux axes : l’un est « centré sur soi », l’autre est « centré sur le collectif ».
La spirale dynamique décrit 8 niveaux d’existence connus à ce jour. Nous n’en évoquerons que 3 pour illustrer ce que nous vivons actuellement en France et qui pourrait vous être utile dans la compréhension de l’évolution des comportements que vous pouvez observer en entreprise et dans la vie de tous les jours. Chaque niveau d’existence est symbolisé par une couleur car il s’agit plus de saisir que de définir :
Le niveau Bleu :
Apparu il y a environ 6.000 ans, ce niveau d’existence repose sur une vision qui est que « le monde est contrôlé par une vérité ultime qui punit et éventuellement récompense ».
Pour exister dans ce niveau, il faut donc vivre en conformité avec les exigences édictées par cette vérité ultime (religion, état, responsable hiérarchique…). Il est donc primordial de respecter les règles, d’être utile et discipliné, comme le demande l’autorité, sinon, et bien, on est tout simplement jugé et marginalisé.
La valeur adoptée est donc centrée sur le « respect du collectif maintenant pour obtenir une récompense plus tard ». Autrement dit, je fais ce que l’on me dit maintenant, j’en tirerai les bénéfices plus tard (avancement, retraite heureuse, accès au paradis…), Cela induit des comportements et des attitudes centrées :
Toute ressemblance avec notre administration publique, les modes d’organisation pyramidales et hiérarchiques, les principes éducatifs enseignés par nos baby boomers ne seraient que… Fondée !
Transition du bleu vers l’orange :
Las de courir après une promesse de récompense future dont il commence à douter, déçu de constater que l’autorité ne parvient plus à le protéger, fatigué d’avoir peur d’être puni et de culpabiliser, frustré de ne pouvoir s’exprimer en tant que tel, l’être humain se persuade que c’est dans le plaisir, le succès et l’accumulation rapide de biens matériels qu’il trouvera enfin son bonheur (mai 1968, la période hippie des années 70 sont des illustrations françaises de cette évolution).
Le niveau Orange :
Apparu il y a environ 600 ans, ce niveau d’existence repose sur une perception du monde comme étant «un endroit plein de ressources et d’occasions de se créer une vie plus prospère».
Pour exister dans ce niveau, il faut avoir du succès et de l’influence, montrer que l’on a réussi seul et matériellement, comprendre le monde afin d’en tirer le meilleur parti, utiliser les progrès technologiques, oser entreprendre, relever les défis et gagner les compétitions.
La valeur adoptée est par conséquent centrée sur « l’expression du soi de manière calculée afin de réussir et gagner le maximum de bien matériels ». Epouser cette valeur génère les comportements et des attitudes centrées :
Les personnalités telles que Bernard Tapie, Jean-Marie Messier, la 4×4 et la Rolex pourraient-ils illustrer ce niveau d’existence (1980-1990) : bien sûr que oui, dirait la génération X !
Transition de l’orange vers le vert :
En s’appuyant sur la technologie, l’humanité a considérablement progressé. En même temps, elle a fait des dégâts sur bien des plans : la pollution et l’effet de serre ont des effets catastrophiques sur l’écosystème (dont l’homme fait partie, inutile de le rappeler), l’accumulation de richesses a certes augmenté globalement le niveau de vie mais renforcé les inégalités. L’absence de valeur autre que la réussite matérielle génère une perte de sens philosophique et spirituelle, un esseulement et un désarroi.
Conscient des limites des périodes Bleu et Orange, l’être humain accepte donc de nouveau de se «centrer sur le collectif», mais il veut en revanche en avoir le bénéfice tout de suite et il pense le trouver sous la forme de relations harmonieuses pour soi au sein d’une communauté… (Deviens mon ami Facebook, consulte un psy, protège la planète !…).
Le niveau Vert :
Apparu il y a environ 90 ans, ce niveau d’existence est basé sur une vision du monde comme étant « un habitat commun de l’humanité ».
Pour exister dans ce niveau, il faut vouloir appartenir et vivre égalitairement en harmonie, être détaché du dogme (niveau bleu), de l’exploitation et de l’avidité (niveau orange), distribuer et partager les ressources pour tous, restaurer les valeurs spirituelles par une exploration de sa vie intérieure et une meilleure estime de soi, vivre par consensus et promouvoir un sens commun.
La valeur adoptée est orientée sur le « collectif, maintenant, pour obtenir maintenant l’harmonie pour soi et les autres ». Cela induit les comportements et les caractéristiques suivantes :
Quelle surprise, nous retrouvons les comportements attribués à la génération Y !
La pertinence et l’originalité de ce modèle multiculturel et multidimensionnel peut s’appliquer à Une nation, une organisation : une entreprise, une personne.
Contrairement aux autres modèles qui classent par typologie, celui-ci considère que les niveaux d’existence s’ajoutent aux anciens, ce qui expliquerait que des sociétés ou des personnes ont plusieurs systèmes de valeurs qui cohabitent et qui peuvent s’exprimer dans les différents domaines de vie.
La connaissance de ce modèle offre de nouvelles perspectives d’analyse : les comportements attribués à une génération ne seraient pas exclusivement liés à l’appartenance à une classe d’âge mais à un système de valeurs sociétales qui évolue en fonction de nouvelles conditions de vie.
On comprend ainsi que, si notre génération Y est à la fois individualiste et communautaire, c’est qu’elle s’est construite lors de la phase de transition de l’ «orange» au «vert». Bien qu’elle en soit la «vitrine», elle n’est pas la propriétaire des valeurs émergentes.
En effet, quel que soit son âge, une majorité aimerait :
- Trouver l’équilibre entre sa vie privée et sa vie professionnelle
- Affirmer ses besoins et exprimer ses émotions
- Eprouver du bien-être dans son travail tout en étant performant
Aussi, ce qui semble être porté par la génération Y peut constituer un apprentissage pour les plus anciens qui doivent apprendre à désapprendre ou à relativiser les croyances et valeurs ancrées lors des niveaux d’existence bleu et orange.
Alors que certains seniors adhèrent naturellement aux valeurs actuelles (vive les 35 heures, vive la retraite !), d’autres, au contraire, ont encore du mal à y croire et se les approprier, voire les rejettent (En quoi ces questions d’environnement durable me concernent ?). Cependant, dans ce monde en évolution, certains choisiront de s’adapter pour vivre en cohérence avec ce nouveau niveau d’existence !
Rappelons que ce modèle a été utilisé pour aider l’Afrique du Sud à passer de l’apartheid à la démocratie. Il est utilisé pour aider les entreprises à réussir leurs transitions, s’adapter à leur environnement, permettre aux managers de gérer des équipes multiculturelles, d’adapter leur communication, de valoriser la diversité et de créer de la cohésion.
Merci pour ce post sympa et l’explication de ces 3 spirales! c’est vrai qu’on a parfois du mal à se comprendre entre seniors et juniors, mais bon c’est pas nouveau cela a toujours existé. et comme vous dites à la fin de votre post, il y a aussi beaucoup de clichés!
N’est-ce pas cette même génération de seniors qui a fait les 35 heures, nous endette un peu plus chaque jour, part à la retraite à 60 ans, nous laisse une planète polluée et refuse de nous embaucher ou de nous payer correctement ?
Bon je suis un peu dure là et je dis pas qu’on fera mieux, mais franchement vu comment on est traité par les entreprises, je comprends que certains mettent du temps à se donner à fond… (même si je n’estime pas que ce soit mon cas)
Charlotte,
Comme l’explique ce modèle, nous assistons jour après jour à la transition du niveau orange à vert :
– les 35 heures avaient pour objectif une augmentation du taux d’emploi (intention verte, solidarité). Cette disposition légale (mesure du niveau bleu) effectuée dans un niveau orange n’a pas eu les effets escomptés : on continue à faire son travail avec 4 heures en moins par semaine et excepté dans le secteur public, il n’y a pas eu de plan de recrutement significatif. Cependant, elle a renforcé le besoin déjà émergent de quête d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Les entreprises observent de nouveaux comportements, notamment ceux de la génération Y. La motivation n’est plus seulement dans la nature et le contenu du travail, l’engagement est devenu conditionnel, le travail doit s’intégrer dans un projet de vie plus global, celui du salarié… Pour ceux qui ont été élevés dans des niveaux bleus et oranges, c’est une vision qu’ils ont du mal à appréhender car peur eux, le travail est, soit un devoir (bleu), soit une identité sociale (orange)… Il faut laisser le temps à l’instauration d’un nouveau rapport : celui du donnant/donnant 🙂
– Concernant la pollution de la planète, on observe une volonté de prendre ses responsabilités de la part du politique et des entreprises. Cependant, dans la mesure où nous sommes en transition de orange à vert, ce qui est affiché n’est pas toujours ce qui est désiré. Tout le monde sait que les campagnes d’affichage de responsabilisation sociale et de respect de l’environnement médiatisées par certaines entreprises n’ont pas forcément une vocation citoyenne ou écologique, mais contribuent à l’essor économique (afficher du “vert” sur ses produits augmente les ventes !)… Mais il ne faut pas généraliser…
Nous pouvons penser que la France est en pleine transition, qu’il y a parfois des zones d’incompréhension entre ce qui est dit et la manière dont cela est dit…
Est-ce que cela appartient aux seniors ? Je n’en suis pas certain… Quoi qu’il en soit, j’espère que vous trouverez ce que vous recherchez 🙂
Il n’y aurait pas un bug sur cet article ?
On ne va pas finasser sur les chiffres, mais il semble que la génération X soit approximativement de 1960 à 1980.
Bernard Tapie, Jean-Marie Messier, Jacques Seguela sont tous nés avant 1960 ce qui les qualifie de papy-boomers a priori. Ce qui m’interpelle c’est que ce n’est pas seulement dans la date de naissance mais aussi dans le comportement. Ce sont les papy-boomers qui ont fait et font les beaux jours des vendeurs de 4×4 (ou berline Mercedes c’est selon) ou des Rolex pour les plus aisés (une LIP dans leur jeune temps), pas les X non ?
Donc avec la terminologie de l’article, on aurait “bleu+orange”=papy-boomers et “vert’=gen Y, ce qui met en évidence de manière assez amusante l’effet classique et déjà répertorié par Benjamin Chaminade sur le site: la génération X a pour caractéristique principale d’être rayée de la carte, de “non-exister”.
Alain,
Je vous remercie de faire ce commentaire car il illustre précisément la confusion qu’il peut y avoir sur l’approche générationnelle, de mon point de vue.
La plupart des sujets évoqués sur l’inter générationnel attribue des comportements types en fonction des tranches d’âge alors que cet article relie des comportements à des valeurs sociétales dominantes (qui changent, non pas en fonction de l’âge mais en réaction des valeurs sociétales dominantes précédentes dont on a observé les limites et dont on ne veut plus).
Par exemple, dans les années 50/60, il ne fallait pas divorcer, cela ne se faisait pas, sinon on était montré du doigt par les autres provoquant ainsi honte et culpabilité. Du coup, beaucoup de personnes vivaient en couple dans le respect de ce principe, sans forcément être heureux et épanouis (niveau bleu). La génération baby boom (née entre 1944 et 1960) s’est rebellée contre ce dogme. Mai 1968 et la période hippie sont les symboles de la libération d’une génération et de son émancipation des règles de vie devenues trop étouffantes et contraignantes (prémisses de la période orange).
Les valeurs de la société ont donc commencé à évoluer dans les années 70 (ça met un peu de temps ;-). Terminé l’abnégation à des règles de vie, vive l’autonomie et la satisfaction de ses plaisirs… essentiellement matériels.
Pour prendre l’exemple de Monsieur Bernard Tapie et rebondir sur votre remarque. Né en 1943 , il avait donc moins de trente ans lorsqu’il a rencontré la période “orange”. il s’est très bien adapté à ces nouvelles valeurs et conditions de vie, dont l’une est centrée sur la capacité à saisir des opportunités pour s’enrichir (sans jugement de valeur, aucun).
Pour réagir à votre remarque, au sens de l’âge, il est un baby boomer, mais au sens du système de valeurs de la spirale dynamique, il est un “orange”, si je puis m’exprimer ainsi.
Ses actions et sa notoriété illustrent bien ce nouveau niveau de vie. Il est l’un des symboles qui illustre la période”orange” dans laquelle s’est construite la génération X (enfance/adolescence dans les années 1970/1990, puisque nés en 1960/1980, à quelques années près :-).
La génération X a grandit dans un monde marqué par la quête de succès, de réussite, d’indépendance, d’opportunismes, d’innovations technologiques, de richesses individuelles, entre autres … (1970 et encore à ce jour en dominance)
La génération X a reçu une éducation dans un niveau bleu, de la part de leurs parents baby boomers, symbolisée par le respect des règles, de la morale, du perfectionnisme, dépourvue d’expression d’émotions : “mets pas tes coudes sur la table, sois le premier en classe, dis bonjour à la dame, tais toi !, pouvant aller jusqu’à la rafale de phalanges, ce qui entre parenthèses, n’était pas un problème en soi à l’époque “.
C’est en cela, de mon point de vue, que l’on peut dire que la génération X “n’existe pas” : elle n’était pas autorisée à s’exprimer (au grand bonheur de nos amis les psychothérapeutes dont les salles d’attente en sont remplis aujourd’hui 😉 mais devait se conformer à un modèle de réussite sociale, sans “sourciller”.
Devenus adultes, les X vivent dans un monde “orange” qui, outre ce qui est évoqué plus haut en termes de caractéristiques, n’est toujours pas centré sur l’expression d’émotions (ça vient avec la période verte). Donc, il s’adaptent aux valeurs émergentes et s’investissent à fond dans leur travail pour accumuler ou tenter d’accumuler gloire et richesse (qu’ils montrent par leur biens matériels, la fameuse rolex).
Merci Alain pour votre commentaire. J’espère avoir apporté plus de clarté dans l’explication du modèle et de son utilité dans l’approche générationnelle… L’explication de l’évolution des comportements par la transition de valeurs sociétales me semble plus pertinente que l’explication de l’évolution des comportements par l’âge…
je suis une femme de 41 ans, qui est sensée relevée de la génération X si on regarde l’âge mais qui a l’impression aujourd’hui en effet d’avoir plusieurs couches de valeurs de toutes ces couleurs et qui en effet change et s’adapte afin de satisfaire un besoin dépanouissement individuel dans le respect du bien’être collectif.(alors plutot Y)Je ne pense pas être la seule qui sache évoluer.quand on fréquente la diversité humaine et qu’on est un minimum attentif aux autres on ne peut que développer un esprit d’ouverture et de compréhension.je pense que les qualités inter générationnelles qui permettraient à tous d’evoluer dans le meme sens ce sont de simples valeurs humaines que sont la tolérance, l’écoute et l’empathie avec un minimum d’intelligence de comportement. Si les managers adaptaient leur management au cas par cas, le bien être de chacun ferait le bonheur de tous.Je suis enseignante en voie de reconversion RH et je le vois dans mes classes : le secret d’une bonne ambiance collective de classe et d’une émulation c’est l’écoute, l’attention et l’adaptation de ma pédagogie et de mes exigences en fonction de chaque enfant.alors peut être cette individualisation pourrait elle être tout simplement prolongée dans les entreprises…merci pour cet article et tous vos commentaires qui font réfléchir sur notre nature humaine.