Un monde instable pour un avenir flou. Comment transformer vos doutes en super-pouvoirs professionnels
Vous courez après la mise à jour de vos compétences ? Vous perdez pied devant l’IA, la « rédactique », l’apprentissage automatique fédéré ou la déplateformation ? Bienvenue dans un monde devenu un escape game sans sortie, où les repères classiques du travail sont obsolètes.
Ce qui vous inquiète ? Ça tombe bien. Ces inquiétudes sont normales… et même utiles. Car elles sont le début de votre nouvelle stratégie professionnelle.

Depuis 5 ans que j’anime des conférences ou des ateliers sur VUCA en entreprise et la transformation managériale qui l’accompagne, les questions que l’on me pose ne portent pas sur « le monde qui change ». Elles portent sur l’inquiétude de faire face à l’instabilité et l’incertitude et leur capacité à s’adapter aux bouleversements qui s’enchainent
IA, recession, réarmement, inflation, incertitude américaine, ou climat inquiètent autant les jeunes diplômés qui réalisent que le marché du travail n’a rien à voir avec ce qu’on leur a vendu, que les trentenaires qui remettent en question leur carrière pour se lancer dans la permaculture ou les quinquas qui attaquent leur troisième partie de carrière avec un syndrome de l’imposteur aussi surprenant qu’un CV en Comic Sans.
C’est à se demander si le monde est devenu un escape game sans sortie et que nous y avons notre place comme un clown à des funérailles.
En tout cas tous, qu’ils soient indépendants, dirigeants, salariés du privé ou du public, tous prennent conscience de la fragilité du monde.
Et quand je parle de fragilité du monde, je ne vous parle pas de paille en plastique ou de galettes de mazout.
Je parle :
- de la Fragilité de nos compétences avec le World Economic Forum qui nous apprend que 39 % de nos compétences actuelles seront transformées ou obsolètes d’ici 2030.
- La fragilité de notre confiance en soi et en l’avenir. Selon BPI, le syndrome de l’imposteur concernerait 7 salariés français sur 10, et la moitié des français est sur que cette année sera pire que l’année dernière.
- la Fragilité de nos carrières qui se traduit par l’instabilité des parcours professionnels qui sont moins linéaires et plus incertains avec 20 % des actifs français qui estiment qu’ils exerceront un métier différent d’ici cinq ans.
- La fragilité de l’envie de travailler avec seulement 26 % des français se disaient épanouis au travail et 12 % en souffre.
- La fragilité de notre santé mentale : 45 % des travailleurs sont en état de détresse psychologique et 13% au point de risquer l’hospitalisation
- EEEt la Fragilité de notre expérience parce que si l’expérience peut rassurer un recruteur, ce n’est pas elle qui vous fera garder votre travail mais votre capacité à la remettre en questio net à ne pas vous cacher derrière elle comme un totem de l’immunité.
La somme de ces fragilités déclenche 4 grandes inquiétudes naturelles et légitimes :
- L’inquiétude de devenir obsolète
- L’inquiétude de perdre le contrôle
- L‘inquiétude de ne plus comprendre
- L’inquiétude de se tromper
1. L’inquiétude de devenir obsolète
Pour commencer, il faut savoir qu’il y a plusieurs obsolescences. Laissez-moi vous demander :
- Avez-vous l’impression que votre capacité de concentration diminue comme un flan au soleil ? C’est l’obsolescence cognitive.
- Est-ce que les offres d’emploi de votre secteur demandent des compétences dont vous n’avez jamais entendu parler ? C’est l’obsolescence des compétences.
- Est-ce que le jargon mêlé de Globish vous donne envie de jeter votre ordinateur ou stagiaire par la fenêtre ? C’est l’obsolescence sociale.
- Est-ce que vous ne souhaitez pas utiliser d’IA parce que vous êtes partagé entre crainte et préjugé. C’est l’obsolescence technologique.
Si vous avez répondu « oui » à une ou plusieurs de ces questions, cela ne veut pas dire qu’il est temps de préparer votre retraite ou de réserver une croisière dans les Caraïbes. En fait, ces obsolescences n’ont rien à voir avec l’âge. Elles concernent les méthodes, les compétences et les comportements qui ne correspondent plus aux évolutions de votre environnement professionnel ou social. Et il n’y a rien à faire à part les surveiller, les accepter et les mettre à jour.
D’autant plus si vous pensez être à l’abri grâce aux trois totems de l’immunité qui nous ont protégés jusqu’ici : Expertise, Expérience et Excellence. Ça, c’était le bon vieux temps.
- Expertise : peut vite devenir inutile si elle n’est pas remise à jour en continu. Votre diplôme est un ticket de concert valable pour un soir, pas pour toute la tournée.
- Expérience : peut devenir un obstacle si elle vous pousse à rester en sécurité et faire comme d’habitude ou pire, « comme avant”.
- Excellence : si vous êtes excellent en FORTRAN, en Flash, ou en dactylographie, votre excellence ne vous suffira pas à garder votre emploi.
Heureusement, ces totems sont remplacés par de nouveaux talismans de protection que l’on appelle aussi « soft skills » pour faire moins shamanico-mystico-gélatineux. Et la première de ces soft skills est la curiosité.
La curiosité est ce réflexe qui vous pousse à ouvrir des portes fermées plutôt qu’à verrouiller des certitudes. C’est ce moteur intérieur qui ne cherche pas à avoir raison mais à comprendre. C’est la curiosité qui fait la différence entre ceux qui s’inquiètent et ceux qui construisent.
Deux actions concrètes pour développer la curiosité de son équipe
Si vous êtes manager, vous pouvez mener deux actions pour aider votre équipe à faire face au risque d’obsolescence grâce à la curiosité :
1. Organiser une “expé de curiosité” mensuelle
L’idée est de s’accorder deux heures pour découvrir ensemble un sujet qui n’a rien à voir avec vos objectifs du moment mais qui peut-être l’un de vos clients : IA générative, économie régénérative, architecture bio-inspirée, jeux de rôle en entreprise, agriculture verticale…
Ce n’est pas pour devenir expert du sujet et créer un livrable mais pour réapprendre à explorer ensemble parce que la curiosité se muscle en groupe. Et qu’en période d’incertitude, l’équipe a besoin de leaders qui n’ont pas peur d’ouvrir les fenêtres.
2. Faire un audit de vos réflexes obsolètes
Une fois par trimestre, vous vous posez une heure et identifiez :
- Une habitude que vous maintenez uniquement par confort.
- Une compétence que vous n’avez pas utilisée depuis 18 mois.
- Une phrase tueuse d’innovation que vous répétez peut-être trop souvent genre « ça marchera pas », « on aura pas le temps », « nos clients sont pas prêts ».
N’oubliez pas que l’obsolescence peut commencer par l’aveuglement de ses blocages et verrous mentaux. La prise de recul et la remise en question sont les deux premières capacités cognitives anti-obsolescence.
2. L’inquiétude de perdre le contrôle
Quand l’incertitude prend le volant
C’est l’une des inquiétudes les plus souvent partagées lors de mes conférences : la sensation de ne plus pouvoir piloter sa carrière. Cette perte de contrôle n’est pas une impression passagère. Elle est provoquée par l’incertitude croissante du monde professionnel, dopée par une instabilité économique, géopolitique et technologique que même les scénaristes de Netflix n’avaient pas osé imaginer.
Et cette incertitude déclenche un réflexe humain très compréhensible : tenter de tout contrôler pour se rassurer.
Mais voilà le piège : dans un monde incertain, chercher à tout verrouiller est non seulement illusoire, mais c’est aussi la garantie de se figer. On attend que toutes les conditions soient réunies pour bouger… alors qu’elles ne le seront sans doute plus jamais.
Perdre le contrôle, ce n’est pas perdre son pouvoir d’agir. Il faut sortir de cette confusion : perdre le contrôle ne signifie pas être impuissant.
Au contraire, une fois passée la peur de l’inconnu, l’incertitude devient un terrain fertile pour :
- explorer des chemins jamais envisagés,
- tester des idées audacieuses,
- et capter des opportunités inattendues.
La compétence à développer : l’agentivité
Ce n’est pas une mode, c’est un muscle mental. L’agentivité, c’est croire que vous pouvez influencer ce qui vous arrive, même si vous ne contrôlez pas tout. C’est la différence entre une posture de victime (« les choses m’arrivent ») et une posture d’acteur (« je fais arriver les choses »).
L’agentivité, c’est aussi arrêter de penser qu’il vous manque des cartes… pour réaliser que vous pouvez jouer avec celles que vous avez déjà.
Et c’est exactement ce qui distingue celles et ceux qui avancent malgré la brume, de ceux qui attendent un hypothétique retour du soleil.
Deux actions concrètes pour développer l’agentivité de son équipe
Si vous êtes manager, voici deux initiatives pour nourrir l’agentivité au sein de votre équipe :
1. Lancer un “projet 100% autonomie”
Chaque membre choisit un mini-projet non stratégique, non vital, non évalué. Il ou elle le pilote seul·e, sans validation intermédiaire, avec un simple retour d’expérience à la fin.
L’objectif n’est pas de réussir, mais de s’autoriser à essayer.
Et bonus : cette expérience développe l’auto-efficacité — la confiance en sa propre capacité à faire face à l’avenir.
2. Organiser une “réunion du lâcher-prise”
Une fois par trimestre, prenez une heure en équipe pour identifier :
- ce qu’on ne contrôle pas,
- ce qu’on essaye de contrôler pour rien,
- ce qu’on pourrait simplifier, déléguer ou abandonner.
Verbaliser, c’est relâcher la pression mentale. Et se recentrer sur ce qui est réellement à portée de main.
3. L’inquiétude de ne plus comprendre quand le monde devient illisible
C’est l’une des peurs les moins avouées : ne plus rien piger à ce qui se passe.
Le tempo s’emballe, les injonctions se superposent, les sigles prolifèrent… Résultat ? On hoche la tête façon expert, alors qu’on est largué comme un hippopotame dans un bloc opératoire. L’énergie perdue à « faire semblant » finit par nous épuiser.
Cette inquiétude, comme toutes les autres, est légitime car :
- Les infos arrivent trop vite et trop floues pour être digérées.
- Les réponses « toutes faites » n’existent plus.
- L’expertise d’hier ne suffit plus : il faut connecter, interpréter, questionner.
Bienvenue dans l’ère de la proactivité.
La soft skill clé : la proactivité
La proactivité n’est pas qu’anticipation.
C’est refuser l’immobilisme : décider dans le brouillard, tester sans garantie, agir sans tout comprendre.
Pas besoin d’être extraverti ou intrapreneur : c’est une posture qui se muscle.
2 actions concrètes pour doper la proactivité de son équipe
1. Le droit au décodage collectif
Objectif : clarifier les injonctions floues et reprendre la main.
- Choisissez chaque mois un terme nébuleux (« être agile », « IA partout », « conduite du changement »…).
- Atelier rapide :
- De quoi parle-t-on vraiment ?
- Que veut dire ce mot chez nous ?
- Quelle interprétation chacun en fait-il ?
- Que pouvons-nous tenter dès maintenant ?
Simple, mais redoutable : les nuages se dissipent, la maîtrise revient.
2. Le “brouillard challenge”
Objectif : s’entraîner à décider sans certitudes.
- Prenez un sujet où les données manquent.
- Listez risques probables / improbables.
- Décidez quand même, puis ajustez.
Exemple : « Et si nous lancions une offre dans un secteur que nous ne connaissons pas ? »
Le but n’est pas de réussir du premier coup, mais d’apprendre à penser en hypothèses plutôt qu’en vérités gravées dans le marbre.
4. L’inquiétude de se tromper : quand l’ambiguïté paralyse l’action
C’est probablement la plus insidieuse des inquiétudes : celle de faire le mauvais choix, de se planter, de miser sur le mauvais cheval… ou de voir son équipe perdre confiance à cause d’une décision qui ne passe pas. Et soyons honnêtes : dans un monde flou, se tromper est facile.
Pourquoi cette peur est légitime
Nous évoluons dans un environnement où :
- L’information est partielle.
- Les signaux sont contradictoires.
- Les données sont obsolètes avant même d’être publiées.
Résultat : faire un choix devient un pari. L’IA va-t-elle booster vos résultats ou remplacer votre job ? Un client silencieux est-il satisfait ou déjà parti ? Est-ce que cette réorganisation est une opportunité… ou un plan social déguisé ?
Dans cette confusion, attendre la bonne réponse devient une stratégie… de fuite.
L’immobilisme stratégique : une erreur qui coûte cher
Ce réflexe d’attendre, de repousser, de « voir venir », porte un nom : la waitflation. C’est le phénomène observé lorsque des entreprises ou des individus paralysent leurs décisions, attendant une clarté qui ne viendra jamais. Selon BPI, 46 % des entreprises françaises reporteraient ainsi leurs projets ou investissements. Aux États-Unis, ce phénomène coûterait l’équivalent de 3 points de PIB.
La vraie question n’est plus “comment éviter l’échec ?”
Mais bien : “Comment faire de l’échec un avantage concurrentiel ?”
Parce qu’attendre la bonne décision, c’est souvent prendre la mauvaise trop tard. Et sauf si vous êtes neurochirurgien ou pilote de ligne, une erreur est rarement fatale.
C’est là qu’intervient une soft skill devenue précieuse : l’audace constructive.
Développer l’audace constructive
L’audace constructive, ce n’est pas foncer tête baissée, c’est refuser la paralysie.
C’est oser avancer même dans l’imperfection. C’est dire « testons quand même » même quand :
- le brief est flou,
- le terrain est mouvant,
- la direction est aux abonnés absents.
C’est préférer un mouvement imparfait à une attente stérile.
Pour être audacieux dans l’ambiguïté, il faut changer de rythme :
- Rapide à tester
- Rapide à échouer
- Rapide à apprendre
- Rapide à ajuster
- Rapide à rebondir
Oui, c’est inconfortable. Oui, ça pique l’ego.
Mais c’est ça, le vrai prix de l’agilité — pas une étiquette PowerPoint sur une stratégie qui ne bouge pas.
Managers : 2 idées pour muscler l’audace de votre équipe
1. Organisez une “fête de la défaite”
Chaque mois, proposez un moment où chacun partage un échec utile :
- Ce que j’ai tenté
- Ce que j’espérais
- Ce qui s’est réellement passé
- Ce que j’ai appris
- Ce que je changerai
L’objectif n’est pas de pointer du doigt, mais de normaliser l’apprentissage par l’erreur. Et de redonner à l’équipe la permission d’oser.
2. Mesurez… vos essais, pas vos échecs
Mettez en place un indicateur interne : le taux d’essai mensuel.
Posez-vous ces trois questions :
- Combien d’idées nouvelles ont été testées ?
- Combien de décisions ont été prises malgré des infos incomplètes ?
- Combien d’ajustements ont suivi un retour rapide ?
Ce que vous mesurez… existe. Et un taux d’essai élevé est bien souvent un meilleur indicateur de vivacité d’équipequ’un taux d’erreurs faible. Parce qu’au moins, quelque chose bouge.
Transformez vos inquiétudes en levier de carrière
Vous l’aurez compris : l’obsolescence, la perte de contrôle, l’incompréhension et la peur de se tromper ne sont pas des signes de faiblesse ; ce sont des alertes précieuses. Elles vous indiquent que votre radar interne fonctionne encore dans un monde qui se réinvente chaque matin.
- Curiosité pour rester en veille permanente.
- Agentivité pour reprendre la main quand le brouillard s’épaissit.
- Proactivité pour agir avant d’avoir toutes les réponses.
- Audace constructive pour apprendre plus vite que vous ne tombez.
Ces quatre soft skills forment désormais le socle d’un plan de carrière vivant : un portefeuille d’expériences, de tests et d’ajustements continus. Le reste ? Des totems d’un autre temps.
Alors, la prochaine fois que vous sentirez l’une de ces inquiétudes pointer le bout de son nez, ne la repoussez pas. Accueillez-la, débriefez-la, transformez-la. C’est le signal qu’il est temps d’ouvrir une nouvelle porte, de lancer un micro-test ou… de créer votre propre « Fête de la défaite ».
Parce qu’au fond, ce n’est pas le monde qui décide si vous devenez obsolète ; c’est votre capacité à faire arriver les choses avant qu’elles ne vous arrivent.
À vous de jouer.