S’il y a bien une relation où tout peut basculer en silence, c’est celle entre un dirigeant et son conseil d’administration.
C’est une chorégraphie complexe, tendue entre deux forces : d’un côté, le besoin du CODIR ou COMEX d’être informé, influent, rassuré. De l’autre, le désir du PDG de préserver sa liberté d’action, son tempo, sa vision. Entre les deux, une zone grise où se jouent des alliances, des tensions, parfois des malentendus fatals.
Le problème | La raison | La solution |
---|---|---|
Les tensions entre dirigeants et conseil affaiblissent la gouvernance. | Le mauvais timing des échanges crée des malentendus et de la méfiance. | Structurer les interactions en trois temps : avant, pendant et après la réunion. |
On croit souvent que plus on communique, mieux c’est. Or ce n’est pas la quantité qui fait la qualité de la relation… mais le rythme et la structure des échanges. Le bon message, au bon moment, dans le bon format. C’est là que tout se joue.

C’est ce que révèle une analyse approfondie que nous avons menée auprès de 90 dirigeants en début de mandat, de leurs administrateurs et de leurs équipes. Ce que nous avons découvert ? Que les relations fragiles ne viennent pas d’un déficit de transparence, mais d’interactions mal synchronisées, de frontières mal définies et de transferts de pouvoir mal anticipés.
Alors, comment garder la main sans créer de crispation ? Comment instaurer la confiance sans se sur-exposer ? Comment éviter de passer du statut de pilote… à celui de figurant ?
Voici trois moments clés à structurer pour transformer votre relation avec le COMEX en levier stratégique :
Avant la réunion : s’aligner sans se sur-exposer
C’est un classique du pilotage discret mais maladroit : de nombreux dirigeants, soucieux de lisser les tensions avant un CODIR, organisent des entretiens individuels avec les administrateurs. L’objectif est noble : créer un climat de confiance, aligner les attentes, éviter les surprises. Mais dans les faits, cela peut vite devenir un piège.
Prenons l’exemple de Claire, dirigeante d’une startup parisienne dans l’univers de l’EdTech. Avant chaque conseil, elle proposait à chaque administrateur un point en visio pour « valider » les documents. Résultat : des demandes contradictoires de dernière minute, une équipe débordée qui travaillait jusqu’à la veille au soir, et un soupçon de favoritisme perçu par les autres membres du conseil. Le climat de confiance qu’elle cherchait à créer… s’est transformé en climat de suspicion.
Pourquoi cela déraille ? Parce qu’en multipliant les previews individualisés, le PDG fragmente le dialogue, donne l’impression d’un conseil à géométrie variable… et s’expose à perdre la main sur l’agenda stratégique.
Une autre approche est possible : plus simple, plus claire, plus respectueuse des rôles.
C’est ce que pratique Julien, dirigeant d’une PME industrielle basée à Nantes. Une semaine avant chaque conseil, il envoie un document d’une page — jamais plus — à tous les administrateurs. Il y cadre :
- Les décisions stratégiques à arbitrer
- Les indicateurs à surveiller
- Les points de vigilance à anticiper
Ce document n’est ni une note de cadrage rigide, ni une tentative d’influencer le débat. C’est une boussole partagée, qui permet à chacun de préparer ses questions sans préempter la discussion. Les administrateurs sont alignés dès le début, les échanges sont plus fluides, et son équipe peut se concentrer sur l’essentiel : être prête, pas réactive.
À mettre en pratique dès la prochain CODIR ou COMEX :
- Oubliez les “entretiens” individuels à la chaîne : ils créent de la confusion plus que de la clarté.
- Préparez une synthèse écrite, partagée avec tous les administrateurs en même temps.
- Limitez-vous à une page, structurée autour de trois blocs :
- « Ce que vous devez savoir »
- « Ce que vous devez décider »
- « Ce que vous devez challenger »
- Gardez la discussion pour la réunion elle-même. L’enjeu n’est pas de valider à l’avance, mais de créer les conditions d’un débat de qualité.
- Invitez à poser des questions ou ajouter des points à l’ordre du jour, mais ne surcommuniquez pas : cela dilue le leadership.
Ce que vous gagnez ? Une autorité renforcée, une équipe moins sous pression, et un conseil d’administration plus engagé sur le fond, pas sur la forme.
Pendant la réunion : partager la scène, créer la confiance
Beaucoup de dirigeants vivent la réunion du conseil comme un moment d’examen. Un rite de passage où il faut prouver qu’on tient la barre, qu’on connaît chaque chiffre, chaque variable, chaque scénario. Résultat ? Une scène monopolisée, une équipe réduite au silence, et une dynamique… stérile.
Prenons l’exemple de Thierry, dirigeant d’un groupe de logistique basé à Lyon. Lors de ses premiers conseils d’administration, il voulait rassurer ses actionnaires sur sa légitimité. Il animait seul les réunions, parlait sans relâche, déroulait chaque slide PowerPoint comme un professeur stressé. Son objectif : montrer qu’il maîtrisait tout. Mais pour les administrateurs, le message perçu était tout autre : Thierry ne faisait pas confiance à son équipe. Il bloquait le dialogue, verrouillait les échanges, et paraissait sur la défensive.
Éviter les malentendus
C’est l’un des grands malentendus du rôle de dirigeant : vouloir montrer sa maîtrise peut, paradoxalement, être perçu comme un manque d’ouverture. La confiance ne se gagne pas dans le contrôle total, mais dans la capacité à créer de l’espace pour les autres.
Regardez ce que fait Hélène, PDG d’une entreprise agroalimentaire en Bretagne. Lors de chaque conseil, elle ouvre la scène à ses directeurs opérationnels. Le DAF présente les chiffres. La directrice RH expose les enjeux humains. Le directeur commercial partage les insights terrain. Chacun est préparé, coaché, et aligné sur le message stratégique. Résultat : les administrateurs voient la richesse de l’équipe, comprennent les décisions de manière plus fine, et posent des questions plus pertinentes. Et Hélène ? Elle n’a jamais eu autant de marge de manœuvre.
À mettre en pratique dès votre prochain COMEX ou CODIR :
- Choisissez deux ou trois membres de votre équipe pour intervenir sur des sujets clés.
- Briefez-les en amont : ils ne sont pas là pour « faire joli », mais pour apporter un éclairage solide, aligné avec votre stratégie.
- Définissez leur “angle” de présentation : une analyse, une décision à arbitrer, un retour d’expérience terrain.
- Encouragez les administrateurs à leur poser des questions directement. Cela valorise l’équipe et désamorce les soupçons de langue de bois.
- Gardez la main sur le fil rouge. Vous êtes le chef d’orchestre, pas le soliste. Votre rôle est de rythmer, relancer, relier.
Le bonus ? Ce type de réunion devient un vrai moment de gouvernance vivante. Plus riche. Plus humain. Et surtout, plus propice à ce que chacun joue pleinement son rôle.
Après la réunion : reprendre la main sur le récit
C’est l’étape la plus négligée, et pourtant… celle où tout peut se jouer. Une réunion de conseil ne se termine pas avec la dernière slide, ni avec les remerciements polis. Elle se poursuit dans les impressions laissées, les conversations de couloir, les doutes non exprimés, les alliances tacites qui se reforment… ou se fissurent.
Trop de dirigeants laissent cette séquence leur échapper. Certains délèguent à leur directeur de cabinet ou à leur DG les suivis. D’autres ne donnent aucun signe de vie jusqu’au prochain conseil. Résultat : ils perdent le fil de la narration, laissent les tensions enfler en coulisses, et affaiblissent leur autorité.
C’est ce qui est arrivé à Arnaud, dirigeant d’une scale-up marseillaise dans la mobilité urbaine. Après chaque conseil, il demandait à son assistante de compiler un compte rendu et laissait son président de conseil faire le suivi. En quelques mois, les administrateurs ont commencé à contourner Arnaud. Ils appelaient directement ses équipes, posaient des questions en off, voire intervenaient dans des sujets opérationnels. Résultat : Arnaud n’était plus capitaine du navire… mais passager.
À l’inverse, prenons Anne, dirigeante d’un réseau de cliniques privées. Dès le lendemain de chaque conseil, elle contacte personnellement chaque administrateur pour un échange rapide. Dix minutes, pas plus. Elle y :
- Clarifie les décisions prises
- Récupère les signaux faibles
- Vérifie la compréhension des messages stratégiques
- Recadre si besoin certaines interprétations
Elle découvre ainsi que certains administrateurs sont plus engagés en bilatéral qu’en réunion, souvent par souci d’image ou d’influence. Ces échanges deviennent une source de feedback stratégique, mais aussi un levier de confiance mutuelle.
À mettre en pratique dès la fin de votre prochaine réunion
- Bloquez dans votre agenda 15 à 20 minutes par administrateur, dans les 72 heures suivant la réunion.
- Structurez vos appels autour de 3 questions :
- “Qu’avez-vous retenu comme message clé ?”
- “Y a-t-il un point que vous souhaiteriez approfondir ?”
- “Avez-vous perçu des signaux faibles que je devrais surveiller ?”
- Soyez à l’écoute, sans chercher à convaincre. Le but est de comprendre ce qui a été perçu, pas de rejouer la réunion.
- Prenez des notes et faites un retour synthétique à votre équipe, pour qu’elle aussi apprenne à piloter la relation avec le conseil.
- Créez une boucle vertueuse : plus vous maintenez un lien direct, plus vous renforcez votre crédibilité et votre autonomie.
Ce travail d’influence post-réunion, discret mais stratégique, vous évite de subir la relation avec votre conseil. Il vous permet de piloter la narration, de prévenir les tensions… et d’ancrer votre légitimité de dirigeant, sans avoir besoin de lever la voix.
Beaucoup de dirigeants imaginent que les tensions avec leur conseil viennent d’un manque d’ouverture ou d’un défaut de communication. En réalité, c’est rarement une question de contenu… et bien plus souvent une question de séquence.
S’exposer trop tôt, vouloir tout maîtriser en réunion, puis disparaître ensuite : ce triptyque crée un climat de méfiance et de réactivité. C’est le meilleur moyen de perdre à la fois l’écoute du conseil… et sa propre autorité.
À l’inverse, ceux qui orchestrent avec finesse les trois temps de la relation — préparer sans surcommuniquer, partager la scène en réunion, puis reprendre la main en bilatéral — parviennent à instaurer un cercle vertueux. La confiance monte, l’autonomie s’ancre, et la gouvernance devient un levier… au lieu d’un champ de mines.
En somme, la relation dirigeant-conseil ne se pilote pas à coups de slides, mais à coups de timing. Et quand elle est bien structurée, elle devient un atout stratégique durable — pas un mal nécessaire à gérer.