Depuis deux ans, nous avons la chance d’appartenir au collectif Arthusa qui rassemble penseurs et entrepreneurs autour de la culture entrepreneuriale et l’intelligence collective.
Ce collectif se réunit chaque mois autour de sociologues, philosophes ou chefs d’entreprises pour identifier “le monde d’après” et en tirer des enseignements concrets pour la gestion de nos entreprises.
A l’occasion de la parution du premier ouvrage des fondateurs d’Arthusa publié chez Dunod “Oser la performance autrement-Transformer l’incertitude en opportunité” nous souhaitions revenir sur l’intervention du Frère Samuel sur sa vision de l’intergénérationnel. 

Des ruptures majeures se sont produites depuis un siècle

Les « jeunes » sont nés dans un monde de ruptures : la «libération de l’animalité» qui a correspondu à la sortie d’un monde qui n’était gouverné que par le souci de la survie, nous a fait basculer dans une violence différente. Quelles sont ces ruptures ?

  • Au plan de la science. La physique quantique nous a enseigné que la réalité matérielle est différente de ce qui nous apparaît et que l’interdépendance est structurelle : l’interaction fait partie de notre être. L’informatique est devenue une prothèse cervicale à laquelle on délègue les process matériels, une imitation numérisée de la raison. Avec cette technologie est née la création holographique d’un espace-temps imaginaire qui peut «masquer» la réalité.
  • Au plan de l’économie. Les liens de causalité disparaissent. Alors que l’idée de compétition prime s’est développée une économie du pari sur le pari/sur le pari rendue possible par l’introduction de l’ordinateur et d’internet dans la tentative de maîtrise de la complexité (le non modélisable, par opposition au compliqué).
  • Dans le domaine social. Nous sommes sortis du cadre du monde rural datant de 8000 ans. Nous nous situons désormais dans un « vaisseau spatial » sans référence à la nature. La loi du social est devenue celle du désir du consommateur, qui n’est plus régulé par la nécessité, mais par le désir pulsionnel, nouveau mode de relation à l’autre. Nous refaisons, 10 000 ans après, l’expérience du nomadisme.

Enfin, la culture connaît un basculement. Le 15ème siècle avait vu l’émergence de la pensée idéaliste, que Descartes a portée à son apogée . On peut probablement situer l’arrêt de la pensée occidentale dans les années 80 où l’invention du « matérialisme créatif » s’est conjuguée au « shoot à l’activité ». La dictature du marché a laissé aux « valeurs » une fonction décorative : elles sont devenues « au choix » ou « variables ».

Revenir à des fondamentaux

Ces fondamentaux auquel pense le frère Samuel sont de trois sortes :

  • Retrouver le travail comme « métier ». C’est-à-dire se réapproprier l’acte du travail. Il était perçu comme une contrainte alors qu’il peut être structurant. C’est la voie du retour à la réalité
  • Retrouver le sens et le goût de l’altérité. Non plus le groupe impersonnel mais la relation personnelle, et en premier lieu, l’alliance intergénérationnelle. C’est le sens du « t’es qui ? » Une exigence profonde d’authenticité.
  • Faire l’effort de la lucidité, du discernement, de l’intelligence. Sortir des images pour aller vers le réel. La culture doit être ce qui m’apprend à aller vers le réel. Ensemble, nous avons un avenir à inventer.

Choisir l’intergénérationnel comme voie de résolution de nos crises

Les « jeunes » dont on parle aujourd’hui, génération Y (ou pas), sont nés après les ruptures. C’est à nous les « vieux » de prendre le temps pour accepter de « lâcher hier », d’accepter l’originalité d’aujourd’hui pour l’intégrer. Eux peuvent nous y aider, ils sont d’après la « pliure ». Celle qui fait que nous imaginions 2012 dans le prolongement de 1950 alors que la rupture est évidente, comme l’illustre la « quête incantatoire » de la croissance perdue. C’est la génération d’après cette pliure de notre temps qui va nous indiquer la juste manière d’agir et nous montrer le chemin.

A eux nous avons dit travail, argent, sécurité et nous avons montré chômage, pauvreté et insécurité. Alors comment aborder l’intergénérationnel ? Quelques points de repère.

  • Accepter la loi de la solidarité. Cela signifie à la fois réciprocité et dissymétrie. Les questions des jeunes mettent le doigt sur ce qui est « étonnant » et qui nous était apparu « normal ».
  • Tirer profit de leurs « énergies nouvelles », en dépit des symptômes dépressifs liés au poids de l’environnement que nous leur avons créé et de celui d’une société qui « casse les rêves ».
  • Lever nos « freins de l’arrêt sur image », celui de notre crise de la quarantaine, et nous habituer à lâcher : non pas laisser ce dont on n’a plus besoin, mais prendre en charge ensemble, dans une juste compréhension de la transmission qui nous incombe et de la responsabilité qu’ils ont à assumer.

 Alors…Concrètement ?

1. Développer la mutualisation, c’est-à-dire objectiver les endroits où nous avons besoin d’eux et ceux où ils ont besoin de nous, et c’est à nous de le savoir et de le faire. A nous de les reconnaître, de les valoriser, de les responsabiliser.
2. …
3. Faire le choix de l’intelligence collective. Chacun contribue et le rôle du manager n’est pas de trouver des solutions, mais dorénavant, d’accepter de ne pas tout savoir.
4. Accepter d’affronter ensemble le « franchement nouveau », sans nous prévaloir de l’expérience, en accueillant leurs questionnements, qui ne sont que les questions « aveuglantes » du monde actuel (« tu peux me dire ce qu’on fait ? Qu’est ce qui compte ? Pourquoi on ment ? Qu’est ce que tu penses dans le fond ? ». Ils ont dû mûrir beaucoup plus tôt que nous .
5. …
6. Faire le choix de l’authenticité sans renier l’altérité : la confiance ne peut plus être donnée au groupe, notre société le démontre. Elle concerne la personne. L’existence du projet peut masquer la réalité. Plus la composante humaine se développe et plus la fragilité apparaît puisqu’on ne peut plus faire illusion, faire semblant. Je suis moi avec mes forces et mes faiblesses.
7. ….
8. …

L’Occident dispose, dans cette aventure mondiale, de deux avantages concurrentiels : Une éthique de l’altérité et sa Créativité. Le prix à payer au préalable est la lucidité. La nouvelle génération revient au réel, « voit » ce que nous avons « glissé sous le tapis », et la condition pour entrer en relation avec elle est de le reconnaître. Les jeunes posent les questions d’abord pour sauvegarder leur propre intégrité psychique face à « l’incohérent et l’inacceptable ». Acceptons de « voir ». Il sera alors possible d’examiner, avec eux, les voies de solution.

Pour vous procurer l’ouvrage “Oser la Performance” de Jean-François Lhérété et Philippe Crouÿ sur le site de Dunod ou Amazon.