Je suis en train de mettre la touche final à mon prochain bouquin qui traitera d’un style de management adapté aux métiers de la création : Le creative leadership.
Le creative leadership, ou leadership créatif (voir notre conférence à ce sujet) est une posture, une manière d’être leader dans un environnement où les réponses ne sont plus dans les manuels et où l’incertitude n’est pas un accident mais un décor permanent.
Attention aux raccourcis. Le creative leadership n’est pas du management classique saupoudré de quelques techniques de brainstorming. C’est une transformation profonde de la posture même du leader, qui emprunte aux métiers créatifs leur capacité à naviguer naturellement dans l’incertitude, l’ambiguïté et la complexité.
Et là vous comprenez le lien avec VUCA et pourquoi je m’intéresse au sujet.
En résumé, le creative leadership permet de manager des équipes de créatifs et de créer les conditions de l’émergence pour soutenir l’innovation.
Le leadership créatif ne consiste pas à devenir le manager qui a le plus d’idées originales mais à créer un climat où les idées, les prises d’initiative et les expérimentations peuvent émerger, vivre et se transformer. Le leader créatif n’est pas le génie solitaire. C’est l’architecte invisible d’un écosystème fertile.
Définition du Creative Leadership
Au-delà du Management Créatif
La nuance linguistique entre « creative leadership » et « management créatif » révèle deux paradigmes radicalement différents.
Un « Manager Créatif« , on évoque un individu qui possède une qualité personnelle de créativité qu’il applique à sa fonction managériale. La créativité devient un adjectif, une couleur qui teinte sa personnalité.
À l’inverse, « Creative Leader » définit une fonction spécifique où la créativité n’est pas une qualité personnelle mais le cœur même du rôle. Ce n’est plus un manager qui se trouve être créatif, c’est quelqu’un dont la mission première est de créer les conditions de la créativité collective.
L’ordre des mots révèle la hiérarchie des priorités. « Creative leadership » place la créativité en position dominante : elle guide, oriente et structure l’exercice du leadership. Le leadership devient le véhicule de la créativité, pas l’inverse.
Une Transformation de Posture
Le creative leadership implique d’abandonner l’illusion du contrôle pour embrasser l’art de l’influence créative. Là où le manager traditionnel guide, organise et contrôle, le creative leader montre le chemin, ouvre des possibles et embarque vers l’inconnu.
Cette transformation se manifeste concrètement :
Vous ne promettez plus de réponses. Vous posez de meilleures questions. Vous créez des espaces où les solutions peuvent émerger plutôt que d’imposer vos propres certitudes.
Vous ne dirigez plus depuis votre bureau. Vous circulez, vous observez, vous écoutez les signaux faibles. Votre leadership devient mobile, adaptatif, contextuel.
Vous ne gérez plus des tâches. Vous cultivez un écosystème. Vous entretenez un climat. Vous nourrissez une culture où la créativité peut s’épanouir naturellement.
Les fondamentaux du creative leadership
Le creative leadership, joue dans une cour où l’imagination vaut autant que la méthode, où l’énergie d’une équipe est un indicateur clé de succès, et où le rôle du manager ressemble plus à celui d’un designer qu’à celui d’un superviseur.
Si vous êtes intéressé d’en savoir plus et voir comment changer de mindset, voici les piliers du creative leadership à adopter pour libérer l’audace et l’ingéniosité dans vos équipes.
1. Un nouvel état d’esprit
Avant de guider qui que ce soit, il faut accepter de se transformer soi-même. Le creative leader développe un rapport inédit à l’incertitude : au lieu de la subir, il l’apprivoise et la transforme en terrain de jeu créatif.
Prenons l’exemple de Malou, cette startup française fondée en 2021 par Louiza Hacene. Partie d’une simple agence de marketing digital, l’entreprise s’est transformée en véritable éditeur SaaS en adoptant une philosophie managériale révolutionnaire : « TEST, LEARN, SHINE AND REPEAT ».
Nous valorisons l’action et l’itération, encourageant chacun à exceller dans la livraison de solutions simples, concrètes et efficaces à nos clients. Malou a une vision ambitieuse : devenir le partenaire de référence pour tous les restaurants du monde entier. Nous sommes pleinement engagés dans cette ambition, visant toujours plus haut, excellant, innovant et nous démarquant comme notre raison d’être.Malou
Cette approche, qui place l’expérimentation et l’apprentissage collectif au cœur de la culture d’entreprise, a permis à Malou de réaliser une croissance de 300% en 2024 et de lever 10 millions d’euros.
Cette transformation passe par l’apprentissage de nouvelles qualités souvent méprisées par les formations managériales traditionnelles : la souplesse, l’audace, la sensibilité, et surtout, la capacité à s’écarter quand on se trouve sur le chemin de son équipe.
Le manager créatif ne se contente pas de reproduire le style de son N+1 ou d’appliquer les règles de l’entreprise. Il conçoit sa posture comme on conçoit une expérience.
Il part de qui il est. Il observe comment ses collaborateurs réagissent. Il ajuste en continu. Il teste un format de réunion, puis en essaie un autre. Il prototypise son style.
C’est là que le leadership devient un design vivant, pas un costume taillé pour un autre.
Une jeune leader dans une scale-up tech me racontait récemment : “Je me suis rendu compte que je pouvais être à la fois exigeante et douce, à condition de clarifier mes intentions.” Voilà une démarche de designer.
Le creative leadership invite chacun à créer une signature personnelle, pas une version édulcorée d’un modèle hérité du copier coller culturel.
2. Des mécaniques quotidiennes
Un état d’esprit sans applications concrètes reste inutile. Le creative leadership se traduit par des gestes, décisions et mécaniques tangibles qui permettent d’incarner cette nouvelle posture.
Cela implique de « designer » son leadership comme on conçoit un produit : identifier ses contraintes comme matière première créative, développer sa marque managériale unique, itérer son style comme un prototype vivant, et scénographier chaque interaction pour créer une expérience mémorable.
Chez Schneider Electric, cette approche se manifeste concrètement dans leurs Innovation Summits annuels, où l’entreprise française réunit collaborateurs, clients et partenaires autour de défis créatifs communs. Peter Herweck, le CEO, a transformé ces événements en laboratoires d’idées où chaque interaction est pensée pour stimuler l’innovation collaborative. L’entreprise a également obtenu un score de 94/100 à l’index égalité professionnelle en 2024, démontrant que le creative leadership passe aussi par l’inclusion et la diversité des perspectives.
Le creative leader ne distribue pas des procédures toutes faites. Il pose des bords clairs, des intentions partagées, et laisse de l’air entre les deux. Il dit où on va, mais pas forcément comment y aller.
Exemple ? Un brief qui précise l’impact recherché, mais laisse libre la forme de la solution. Ou un process qui définit les étapes clés, mais autorise des chemins variés pour les atteindre.
Sans cadre, c’est l’anarchie. Trop de cadre, c’est l’étouffement. Le leader créatif scénographie les règles comme un designer structure une expérience utilisateur : avec sens, intention, et une touche d’élégance.
3. Un ancrage culturel durable
Libérer la créativité ne suffit pas si elle s’évapore à la première crise ou se rigidifie dès la première routine. Le creative leader apprend à ancrer durablement la créativité dans la culture d’entreprise, à naviguer entre les cycles d’énergie et à ouvrir l’équipe sur son écosystème.
L’exemple de Néolithe, cette startup française de greentech fondée récemment, illustre parfaitement cette approche. En transformant les déchets industriels en matériaux de construction grâce à leurs « fossilisateurs », l’entreprise a créé une culture d’innovation systémique qui dépasse le simple produit. Avec une levée de fonds de 60 millions d’euros en 2023, Néolithe démontre comment une vision créative peut s’ancrer dans une mission durable et fédérer une équipe autour d’un impact concret.
Il ne s’agit plus seulement d’inspirer, mais de rendre chaque collaborateur acteur, chaque moment fécond, chaque rituel vivant. Le creative leadership n’est pas un feu d’artifice, c’est une dynamique qui s’entretient, se partage et se renouvelle ensemble.
L’essai-erreur n’est pas une stratégie de secours. C’est un mode opératoire assumé. Parce qu’un projet qui rate peut faire grandir une culture, alors qu’un succès mal compris peut enfoncer de faux acquis.
4. Un leadership magnétique
La dimension finale qui fait la différence entre un manager techniquement compétent et quelqu’un que l’on suit avec envie, c’est la présence. Cette texture humaine du leadership qui transforme une simple collaboration professionnelle en aventure partagée.
Les 3 marqueurs d’un management magnétique sont
1. L’incarnation avant l’inspiration : Le leader magnétique ne prêche pas, il vit ses valeurs. Chaque geste, chaque décision devient cohérente avec sa vision.
2. La vulnérabilité comme force : Il partage ses doutes, ses échecs, ses apprentissages, créant ainsi un climat de sécurité psychologique où l’équipe ose à son tour.
3. L’effacement au service du collectif : Plus il grandit en leadership, plus il s’efface pour laisser briller l’équipe, devenant un « faiseur d’espace » plutôt qu’un chef d’orchestre.
Le résultat ? Une équipe qui ne travaille plus pour le leader mais avec lui, transformant la culture d’entreprise en mouvement d’adhésion spontané.
Le creative leader devient la personne avec laquelle tout créatif rêve de collaborer. Celui qui transforme une culture d’équipe en mouvement d’adhésion, qui fait que les gens ne travaillent plus pour vous mais avec vous.
Quand un leader traditionnel anticipe, observe les tendances, scrute les KPIs et extrapole les courbes, il cherche à prévoit. Le creative leader, lui, imagine. Il ne cherche pas à deviner l’avenir comme on consulte une météo capricieuse, mais à en créer plusieurs versions possibles.
C’est un explorateur d’hypothèses.
Il pose des questions comme :
Et si notre modèle disparaissait demain ?
Et si on devait repartir de zéro avec 50 % de ressources en moins ?
Et si on lançait une offre dont on ne comprend pas encore la demande ?
L’imagination stratégique, ce n’est pas rêver hors-sol. C’est ouvrir des brèches dans le raisonnable pour mieux en redessiner les contours. Une pratique très utile… surtout quand vos anciens repères volent en éclats.
Le creative leadership, c’est passer d’un leadership de contrôle à un leadership d’orchestration. Ce n’est pas faire des brainstormings à gogo ou acheter des poufs colorés. C’est un art d’équilibrer liberté et responsabilité, audace et alignement, imagination et exécution.
Pensez à un DJ plutôt qu’à un chef d’orchestre. Le leader créatif écoute l’énergie de la salle, choisit le bon tempo, passe les bons morceaux, mais laisse aussi de la place à l’impro. Il ne fait pas danser les gens en les contrôlant, mais en créant les conditions d’une expérience collective mémorable.
Êtes-vous déjà un creative leader ?
1. Le kit du creative leader
Objectif : Diagnostiquer, incarner et faire évoluer votre posture de leader créatif dans un environnement incertain ou en mutation.
Nom de l’outil : Creative Leadership Canvas
| Dimension clé | Question à se poser | Action à mettre en place |
|---|---|---|
| Imagination stratégique | Quelles idées nouvelles suis-je en train de tester ? | Organisez un “futur lab” mensuel en équipe. |
| Permission d’oser | Est-ce que mon équipe sent qu’elle a le droit d’innover ? | Instaurez des “autorisations explicites” d’expérimenter. |
| Cadres évolutifs | Est-ce que mes règles permettent la prise d’initiative ? | Passez d’un règlement à un cadre de jeu. |
| Itération / apprentissage | Est-ce qu’on apprend de ce qu’on tente, même quand ça rate ? | Documentez les essais et les leçons dans un “logbook”. |
| Énergie collective | Est-ce que l’ambiance de l’équipe stimule la créativité ? | Écoutez les signaux faibles et modulez le tempo. |
Utilisation :
À imprimer ou intégrer dans vos bilans mensuels avec l’équipe. Chaque mois, vous cochez ce qui est en place, vous discutez ce qui ne l’est pas, et vous définissez une micro-action à tester pour progresser.
2. Mini-test
Répondez par OUI, PARFOIS ou NON.
Additionnez vos points : OUI = 2 pts / PARFOIS = 1 pt / NON = 0 pt
- Je donne à mon équipe le droit explicite de tester sans attendre la perfection.
- Je passe du temps à imaginer des futurs possibles, pas seulement à prévoir des plans.
- J’accepte de ne pas avoir toutes les réponses (et je le dis).
- Je célèbre plus l’apprentissage que le succès immédiat.
- Je sais quand il faut “ralentir” pour laisser l’équipe reprendre son souffle.
- Je favorise des cadres clairs mais adaptables, plutôt que des règles rigides.
- Je conçois mes 1-to-1 et mes réunions comme des expériences à designer.
Résultats :
- 11–14 points : Vous êtes sur la bonne fréquence. Continuez à affiner votre signature de leader créatif.
- 7–10 points : Vous avez les bases, mais votre leadership reste encore trop linéaire. Passez à l’itération.
- 0–6 points : Bonne nouvelle : vous avez un terrain vierge. C’est le moment de designer votre posture.
