Chapitre 2 – « Arrêter de faire fuir avant de vouloir attirer »
18 septembre – Cafétéria de Global International
Martine de Bonvoisin, la responsable Com’ de l’entreprise attendait que le distributeur lui serve son café quand Françoise arriva à son tour dans la cafétéria.
Les deux femmes avaient convenu de s’y retrouver avant de se rendre à la réunion qui suivait.
— Bonjour Martine. Alors, vous avez des idées à nous présenter pour rénover nos pratiques d’attractivité et maitriser notre Turnover ?
— Bonjour Françoise. Oui, j’ai une super idée pour rendre notre entreprise attractive en terme d’employeur. C’est ici, précise-t-elle en tapotant un dossier qu’elle tenait sous son bras. Je te rassure, en terme de « Com » je ne pense pas qu’il soit difficile de vendre Global International comme un bon employeur. Après tout, j’en suis la preuve vivante, n’est ce pas ? En Mars, cela fera 18 ans que je travaille ici ! Qui mieux que moi peut parler de l’entreprise n’est-ce pas ? Bon, il faut bien reconnaitre que nous ne trouverions sans doute pas les mêmes avantages sociaux ailleurs, n’est-ce pas ? Et j’habite au coin de la rue ! Conclut-elle en souriant.
Françoise ne releva pas, pourtant elle détestait particulièrement les gens confondant motivation et inertie. Ces gens qui restaient dans l’entreprise non pas par engagement mais par peur du changement. Un sourire éclaira son visage un bref instant quand elle se souvint d’un conférencier qui appelait ce genre de personne une « Bozo ».
Martine pensa que le sourire lui était destiné. Elle était loin de s’imaginer ce que pensait Françoise : « Elle est plus motivée par les avantages sociaux et la situation géographique de l’entreprise que notre projet. Elle reste parce qu’elle a peur. Une bozo désengagée qui reste par inertie. Et elle s’occupe de la communication de notre entreprise. Misère noire. En plus ses « n’est-ce pas » à la fin de toutes ses phrases, ça m’énerve. Enfin bon, je suis ici pour travailler, pas pour me faire des amis ! »
Les deux femmes burent leur café en silence jusqu’à ce que Françoise donne le signal du départ pour la réunion.
En sortant de la cafétéria, elles aperçurent Stéphane, le DG, qui parlaient avec un client. En l’apercevant, il jeta un œil à Françoise et lui fait signe de la main comme pour imiter un avion en piqué.
« Oui oui, le turnover je sais ! » pensa Françoise. « Ou je réussis à arranger les choses ou je me crashe. Tiens, il faudra que je pense à demander si ce n’est pas du harcèlement ça !«
18 septembre – Salle de réunion « Primevère »
Tous étaient arrivés à l’heure. Autour de la table se trouvaient :
- Françoise, DRH,
- Martine, Responsable Com,
- Estelle, responsable RH et paie,
- Julie, chargée de recrutement et
- Paul, le seul garçon du groupe, stagiaire. Sont rôle, mal défini, le faisait naviguer entre RH, courrier et recrutement.
– Bonjour à tous ! Commença Françoise. Comme je vous l’ai expliqué hier matin, nous avons un problème important qui nous demande de réviser nos priorités. Je vais commencer par vous donner quelques chiffres. J’ai fait un petit exercice en me basant sur 2009.
En même temps qu’elle parlait, elle distribua une feuille à chaque participant. Ils baissèrent la tête pour lire ce dont il s’agissait. Certains froncèrent les sourcils, d’autres eurent un mouvement de recul.
Françoise laissa les membres de son équipe s’imprégner des chiffres avant d’enchaîner.
– 40% de notre effectif, (soit 283) Equivalent Temps Plein (à la date d’aujourd’hui) sera parti à la retraite en 2012. Sur les 3 dernières années nous avons un turnover qui va en s’aggravant : 22% en progression de 5% l’année dernière. Rien que pour cette année, nous allons perdre 90 personnes parmi lesquelles :
- 37 partiront à la retraite,
- 13 partiront pour des raisons extérieures à l’entreprise. Ce que j’appelle le « Pull » que ce soit pour la mutation du conjoint ou la reprise de ses études
- 40 partiront pour des raisons qui dépendront de notre organisation. En un mot : le « Push ». Ce qui est encore plus grave est que sur ces 40 personnes, 50% nous quitteront alors qu’elles seront dans leur première année ! Les 50% qui restent ne « survivront » pas longtemps : la plupart nous quittera dans les 2 ans et demi !
Sans respirer Françoise enchaîna.
– Et encore, pour les chiffres du tableau que je vous ai distribué, j’ai fait au plus simple. Pour les pots départs par exemple, je suis partie sur l’hypothèse que cela ne prendrai qu’une heure sur le temps de travail pour un taux horaire moyen de 25€.
– C’est incroyable rebondit Estelle des RH, 2 millions d’euros de perte !
– Oui, comme vous le dites. Et encore, je n’ai pas calculé certains montants qui m’auraient demandé trop de temps. Mais même si ces chiffres sont calculés à la louche, j’ai pourtant refait les calculs 3 fois tellement ils me paraissaient énormes. Maintenant je suis persuadée qu’ils restent en deçà de la réalité. Mais nous avons d’autres choses à faire que de nous faire peur ! Il est temps de regarder les choses en face. Notre service peut faire une vraie différence sur les résultats de Global International (GI) alors que nous sommes en crise sur deux fronts !
– Deux fronts ? se permit de demander Paul, le stagiaire qui n’assistait pourtant à la réunion que pour prendre des notes et écrire le compte rendu.
– Oui, crise économique et guerre des talents !
– Et Monsieur Martin, le prédécesseur de Monsieur Bessade (nota : Stéphane, le DG, voir la première partie), qui disait que « l’administration du personnel » n’était qu’une fonction support. Tu parles ! dit Julie qui était restée discrète.
– Bon, enchaina Françoise, je vous propose de faire un premier tour de table pour avancer. Je vous déjà trois procédures distinctes sur lesquelles nous pouvons échanger: attirer, recruter et fidéliser.
– Excusez moi d’intervenir maintenant mais je ne pense pas que attirer, recruter et fidéliser soient les premiers sujets dont nous devrions nous préoccuper !
Tous les regards se tournèrent vers Stéphanie qui venait de prendre la parole. Même Paul qui était en train d’envoyer un SMS sous la table releva le nez.
– J’ai fait mon mémoire de fin d’étude sur ce sujet et je pense avoir quelques infos utiles.
– Que voulez-vous dire ? Demandèrent en même temps Estelle et Françoise.
– Que si nous continuons à recruter comme nous le faisons, nous allons avoir les mêmes effets de démotivation et de départ précoce encore et encore. Afin de créer un système – un environnement pardon – qui assure que nous gardions nos salariés, ne faudrait-il pas d’abord s’intéresser à comprendre ce qui les fait partir…En dehors de la retraite bien sur. Bref, comprendre ce qui les pousse dehors avant de les faire rentrer chez nous.
– En d’autres mots, reprit Françoise, vous voulez dire qu’avant d’attirer nous devrions arrêter de faire fuir !
A suivre…
Les précédents chapitres :
Partie 1 : L’introduction
Partie 2 : On a pas le temps !