Lors de mon intervention à la nuit des métiers, j’ai décrit les Y comme étant des Zappeurs et des Tanguy. Bien sûr l’objectif était de faire réagir la salle. Le terme de zappeur a fait mouche et en a fait bondir certains. Alors, est ce que les « Y » ont la culture du zapping dans le sang ?
À en écouter journalistes, chefs d’entreprises et managers, la génération Y rassemblerait tous les vilains petits canards de l’engagement en entreprise. Si cette description peut être juste, elle n’en est pas une caractéristique pour autant ! Plutôt un symptôme : Il ne s’agit pas d’une perte particulière de loyauté ou d’engagement, mais plutôt d’une évolution des priorités.
Ces priorités dépendent entièrement de son point de vue. Commençons par exemple avec la famille. Comment encore croire à l’amour éternel et aux saints sacrements du mariage quand le nombre de divorces a été multiplié par 3,5 depuis 1970 tandis que le nombre de mariages a diminué de 30?% durant la même période ? Si 10?% des mariages en 1970 s’achevaient en divorce, il y en a eu 49% en 2007 selon l’Insee (il y a eu 273 669 mariages pour 134 477 en 2007). Et ainsi le nombre de familles monoparentales (20% des familles) et recomposées (concernant 800 000 enfants) devait commencer à croître.
Ne pouvant plus croire en la famille, que reste-t-il ? Voyons. Ah mais c’est bien sur: l’entreprise?!
Sauf que depuis la fin des années 70 les entreprises ne sont plus en odeur de sainteté non plus ! À lire les journaux, les licenciements ne se sont jamais arrêtés et les patrons ne rêvent que d’une seule chose : délocaliser en Chine pour maximiser leur profits tout en pouvant toucher des parachutes dorés en cas d’échec. Pas de quoi améliorer la confiance des salariés dans l’entreprise ! Et pas que des plus jeunes ! Rappelez-vous à ce sujet cette enquête de l’AACC et opinion way.
Les générations précédentes considéraient que ce qui était acquis le serait toujours, que leur relation était « privilégiée » avec leur entreprise, car après tout, elles avaient investi nombre d’années dans leur entreprise. Le réveil a été pénible. Aujourd’hui la confiance en l’entreprise ne peut se faire que par projet et la promesse d’emploi par le maintien de l’employabilité.
Alors voyons de nouveau, que reste-t-il de tangible et de solide ? humm. Le métier peut-être ?
Oui pourquoi pas. Après tout le nombre de métiers (les puristes préféreront le terme « d’emploi ») explose. Pour ne parler que des emplois légaux : panels de consommateurs, retourneur de hamburger, distributeur de journaux gratuits, développeur 2.0, ingénieur en écologie, consultant en développement durable, etc.)
Pourtant ces métiers, qu’ils soient ou non qualifiés, semblent être de plus en plus considérés comme temporaires (et pas que les macs emplois !). Les témoignages affluent et ne concernent pas que les emplois à faible qualification : Cet ingénieur devant médecin, cette chargée de pub quittant son emploi pour se lancer dans l’humanitaire en Afrique, ce Trader ouvrant un bar à Londres, etc. Le métier devient temporaire. La carrière éphémère.
Ajoutons à cela l’étude de Éric Deroo et Danièle Lavenseau : un salarié qui change de métier augmente ses chances de progresser en rémunération ou en qualification. Ainsi, pour reprendre les chiffres disponibles : 32?% des salariés professionnellement mobiles entre 2003 et 2004 ont bénéficié d’augmentations de salaire horaire contre 20?% pour ceux qui n’ont pas changé de métier ! Pour en rajouter une couche selon l’enquête commandée par The Teacher Training Agency 73?% des personnes qui ont quitté l’université depuis 2003 ont changé de carrière avant 35 ans ! En réalité, sur 40 ans de vie professionnelle, nous savons déjà que les Américains changent de carrière 4 fois pour une dizaine de ‘job’.
Et la récession ne va pas changer les choses à en croire l’enquête de People First prévenant qu’en décembre 2008, 45?% des salariés envisageaient un changement de carrière si la crise s’installait !
Bon, certes. Alors finalement, que nous reste t’il de suffisamment solide pour que l’on puisse s’y reposer, ou du moins s’y accrocher ?
Selon les responsables RH français et autres amateurs de GPEC, ce qu’il nous reste est évident : la compétence. De nouveau, c’est discutable. Je connais mon Le botterf par cœur et je sais que la compétence est utilisée, mise en œuvre et (éventuellement) valorisée par une entreprise et que le salarié peut partir ailleurs avec elle. La culture Y l’a bien compris en considérant que le développement de ses compétences revient entièrement à tout à chacun. Contrairement à la culture boomer pour laquelle, c’est à l’entreprise de financer la formation et à la culture X élevée aux 35 heures pour laquelle, c’est 50/50.
Pourtant, la compétence n’est plus ce qu’elle était ! Elle devient de plus en plus spécialisée (et donc difficile à transférer) et obsolète (demandant des séance de formation de plus en plus rapprochée). Il n’y a pas si longtemps, il était courant de dire que la formation était importante jusqu’à 40 puisque l’expérience prenait le relais, est-ce encore le cas ? Je vous laisse choisir entre Paul Arden précisant que l’expérience est dangereuse car elle implique de « faire comme avant ». Armand Mennechet (ACFCI) pour lequel nous n’avons plus assez de temps pour développer une expérience dans un monde où l’on demande parfois aux stagiaires d’avoir de l’expérience…
Voilà, la famille, l’entreprise, la carrière, l’emploi… Tout devient temporaire, dans le survol et le court terme. Alors finalement, c’est vrai ? Ces « Y » sont des zappeurs ! Ce n’est peut-être pas leur faute, mais ils le sont !?
Oui, si vous êtes un chef d’entreprise ou un manager ayant connu le monde « d’avant ». Oui, si vous considérez que c’est à vous de décider quand un engagement doit être terminé. Oui, si pour vous, un salarié partant pour suivre une meilleure opportunité commet un sacrilège.
Pourtant, si vous appartenez à cette culture et considérez cet environnement, vous n’êtes pas plus zappeur qu’un autre finalement. Rappelons-nous que les premiers à avoir été trahis par l’entreprise et avoir vu leur contrat psychologique déchiré (« salaire et protection » contre « implication et performance ») sont dans leur cinquantaine. Rien de nouveau.
En réalité, tout ne semble pas temporaire. Il reste quelque chose (est-ce que cela va durer ?) de plus solide. Quelque chose sur lequel s’appuie le « Web 2.0 » et les « Réseaux sociaux ». Quelque chose qui fait que le monde est encore monde…
Qu’est ce que c’est ?
La relation bien sur !
C’est cette relation qui permet de collaborer dans un environnement 2.0. Cette relation qui peut durer pour toujours. Enfin tant que vous ne me « unfriendiez » pas de vos amis Facebook ou de votre agenda. Cette relation, vous pouvez la quantifier (nombre « d’amis » sur Messenger ou facebook), en mesurer la qualité (j’ai besoin d’un job, voici mon CV…) ou la tester (il est 3 heures du matin, je suis en panne de voiture, tu viens me chercher ?).
La voici donc cette nouvelle priorité. Dans un monde incertain, qui nous inquiète et dans laquelle nous ne connaissons pas encore notre place, n’est ce pas logique de chercher le support et la force de sa communauté pour l’affronter ?