Vendredi s’est tenue la conférence Educpros dans les locaux de L’Etudiant sur le thème de « Génération Y : mode d’emploi. Zappeurs ? Infidèles ? Impatients ? Comment former, fidéliser et insérer vos étudiants ».
J’ai été invité pour traiter des étudiants consommateurs sur une table ronde qui n’était pas vraiment ronde et à laquelle participait Jean Pralong (professeur à Rouen Business School), Eric Bruillard, (directeur du laboratoire Sciences Techniques à l’ENS Cachan) et Jean-Michel Delaplagne, (Directeur Général de la Pédagogie, de la R&D d’EduSeptices, et fondateur des établissements IPAC).
Si d’habitude j’utilise toujours une présentation Keynote pour illustrer, guider et surtout organiser mes propos, j’ai tenté pour une fois de m’en passer, le temps d’intervention m’étant alloué étant de 10mn. Ce temps étant trop court pour approfondir, j’ai préféré poser les sujets pour ensuite créer la discussion autour du buffet qui suivait pour avoir une vraie conversation et pas un monologue.
Les enseignants face aux étudiants consommateurs…
Parler de consommateur remet l’étudiant revient à mettre en lumière
- Le besoin d’information sur ce que l’on achète
- Le besoin d’immédiateté
Se rassurer sur ce que l’on achète
Entrer dans une école est un choix important sur lequel il vaut mieux ne pas se tromper. Son avenir en dépend…Littéralement.
Professionnellement bien sur, du choix initial va dépendre le statut de l’étudiant devenu salarié, le secteur professionnel, le type d’emploi, le montant de la rémunération à la sortie et pour certains le montant de la dette qu’il faudra rembourser. Un étudiant en école de commerce, qui finance lui même ses études avec un prêt à rembourser sur 4 ans.
Le montant du salaire censé être obtenu à la fin des études semble devenir moins important que la solidité du réseau que l’école va permettre de constituer. Un réseau qui n’est pas important en lui-même mais qui multiplie ses chances de trouver un emploi. Comme cette école bien connue mettant en avant ses 70 000 anciens élèves. Bonne idée mais il ne doit sans doute pas en avoir 70 000 toujours vivants ou dont les coordonnées sont à jour dans l’annuaire des anciens.
Autre constat surprenant, et en même temps rassurant, fait par ce réseau d’école de commerce qui sur les carrefours écoles tire son épingle du jeu face à des écoles plus prestigieuses en demandant aux élèves d’animer leur stand en se comportant et en s’habillant comme s’ils étaient en stage et recevaient des clients. Pas en s’habillant avec le même polo de l’école pour montrer qu’ils sont une tribu recrutant de futurs compagnons de beuverie.
Répondre à un besoin d’immédiateté
L’instantanéité, du net mais pas seulement, semble avoir développé chez les étudiants une forte intolérance à toute forme d’attente, de frustration ou d’ennui.
Alors que le SIGEM signale que les classes préparatoires et les grandes écoles restent attractives, les directions d’écoles semblent pourtant voir une désaffection des études longues au profil de parcours de formation plus courts, plus soutenus, aux débouchés plus clairs et qui permettent de se faire une première idée du domaine d’activité. Quitte à en changer à l’issue des 2 ans ou en court de route. Pourquoi pas. Il semble que de plus en plus d’élèves (bon, sans doute 0,0001 % donc pas de panique) réévaluent leur projet d’enseignement pour se réorienter ou sortir de l’éducation et tenter leur chance dans un autre domaine professionnel, culturel ou social. Une enquête sur ce sujet bientôt ? A suivre…
Ce besoin d’immédiateté consommatrice a évidemment un impact direct sur la façon d’apprendre. Selon une enquête JTW de 2010 intitulée “empreinte Digitale” 65% des digital natives ont pour source d’information internet. Si aujourd’hui on ne peut plus dire que l’information s’y trouvant n’est pas fiable après la publication de l’enquête menée par la revue “Nature” montrant que le nombre d’erreurs pour 1000 pages est sensiblement le même entre l’encyclopédie Britannica Universalis et Wikipedia.
En fait, le sujet est plutôt que :
– La vérité vient du web, pas du prof duquel on doute jusqu’à la mise en situation concrète d’application du savoir. Rappelez-vous vos premiers cours d’anglais avant de vous retrouver face à un(e) anglais(e).
– Comme le dit Alain Joannes, les étudiants se contentent de plus en plus d’une seule source et pas de 3 ou 5, même en école de journalisme.
– Chaque source est équivalente à une autre. Il devient compliqué de faire le tri entre la source et les “perroquets”, comme les appelle Thierry Crouzet dans son article sur le non flux. Ce qui est mal vécu si on ne veut pas perdre de temps à apprendre de l’inutile. Inutile étant “ce sur quoi le prof ne nous interrogera pas”
– L’important semble être de savoir où se trouve l’information plutôt que de retenir l’information elle-même. Ce qui revient à retenir les mots clés et les index sans avoir d’infos sur “le disque dur en local” pour citer un professeur de la Rochelle.
Mais l’éducation joue aussi le rôle de la consommation selon les paroles d’un professeur de Montpelier 2 qui me disait qu’avec la réforme LMD “l’éducation nationale jouait aussi le jeu de la consommation en mettant en avant des gadgets qui clignotent on pouvait venir avec son caddie et consommer de l’UE comme on le souhaite”.
Alors le prof face à des consommateurs ? Un fournisseur ?
Consommateurs, pas clients. Il s’agit bien là de mettre la limite entre la personne qui cherche un savoir à utiliser immédiatement pour obtenir un retour sur investissement (minimum) le plus rapidement possible que le client qui se juge tout permis car “il a payé”. Même si malheureusement plusieurs histoires me sont revenues d’étudiants se permettant de dire à leur professeur ou intervenant exactement ceci ! “Rappelez-vous que c’est moi qui paie votre salaire !”
S’il n’est pas un fournisseur, qu’est-il ? Un bruit de fond que l’on écoute à peine en pensant que de toute façon on trouvera les infos dont il nous parle sur le net à tout moment ?
Nous en revenons à une réflexion ancestrale sur la place du professeur dans son environnement (économique, social, technologique, bla bla) et la juste balance entre ce qu’ils veulent et ce dont ils ont besoin. Ils veulent des frites mais ils ont besoin d’apports équilibrés ! Ils pensent virtuellement tout savoir en quelques clics mais en réalité attendent beaucoup de leur professeur ou intervenant.
Ils attendent :
- Une application directe avec le monde professionnel. A quoi ça sert ? Compliqué quand vous enseignez des sciences fondamentales j’en conviens.
- Une mise en situation rapide de la connaissance enseignée. Ah oui, ça marche !
- Un apprentissage qui soit autant par l’erreur que par la pratique. Ce que j’encourage à faire en entreprise : laissez-les/aidez-les à se tromper. Mais pour cela il faut être capable de ne pas juger l’erreur. Si vous parlez anglais je vous invite à écouter Sir Ken Robinson sur la révolution de l’apprentissage.
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- Des profs qui les engagent en comprenant leur situation et connaissant un minimum leur rites et pratiques. La place du mobile dans leur vie, l’importance de leur communauté et…celle de leurs parents.
- Tester d’abord apprendre ensuite. La pratique avant la théorie.
- Utiliser les multimédia, pour ce qu’ils peuvent vous apporter, pas pour la mode. Mais cela vous demandera de réfléchir à la place de Facebook, Twitter, Diigo et consort
- La possibilité d’apprendre quand ils veulent, d’où ils veulent, ce qu’ils veulent et de se connecter à leur professeur à tout moment. Nous sommes à l’ère des réseaux sociaux et la classe n’est qu’une expérience d’apprentissage parmi d’autres.
Rien de vraiment révolutionnaire là-dedans n’est-ce pas ? Juste un peu de bon sens, d’écoute et d’adaptation (ou pas !) aux outils et comportements. Alors plutôt que de citer la phrase de Socrate “Les jeunes de maintenant aiment le luxe, etc” pour expliquer que les jeunes sont toujours différents, herchons à savoir en quoi ils le sont. En parlant de Socrate, pourquoi ne pas retourner à ses concepts d’éducation basé sur le “la seule chose dont je suis sur est que je ne sais rien”. Le professeur / intervenant redevient un élève comme les autres…
Vos étudiants ne vous rejoignent pas pour leurs professeurs. Les professeurs ayant une visibilité, “une marque personnelle” (pour reprendre le terme à la mode) pour lesquels les étudiants rejoignent leur école sont rares n’existent pas. Ils vous rejoignent pour eux ! Pour leur avenir, parce que votre école est prestigieuse ou proche de leur domicile. Pas vraiment pour le programme pédagogique de toute façon.
Par contre, une fois chez-vous, ils doivent être confrontés à la réalité, l’entreprise a parfois mauvaise haleine le matin mais elle n’est pas cette mangeuse d’hommes que certains décrivent !
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Formidables propos de Sir Ken Robinson ! Juste un commentaire sur tout ça…On reproche aux “jeunes” de consommer l’éducation mais, en fait, c’est l’inverse qui se passe…C’est le système actuel qui est un système prêt à l’emploi, rigide dans ses “gammes de produits” où le client est défni en Cours préparatoire…C’est d’ailleurs ce que dit Sir Robinson en parlant de dispositif manufacturé. Il ne faut pas inverser les responsabilités…Les jeunes aspirent, à mon sens, à un itinéraire éducatif leur permettant de se construire à leur rythme et à leur façon…En tout cas, c’est ce à quoi j’aspire moi même en ayant vu trop de gachis autour de moi ces dernières années…Une petite citation d’Alexandre Dumas père pour conclure (de mémoire) : “Tous les enfants sont intelligents…Comment se fait-il, alors qu’il y ait autant d’adultes si bêtes ? L’éducation, peut être…”